Meteor Studios : Chronique nécrologique
Durant 4 ans et demi, j’ai travaillé pour Meteor Studios à Montréal. Un an après mon départ pour la Californie, Meteor a disparu du petit monde de la postproduction du Québec. Cela a créé un grand vide, car Meteor était la plus grande entreprise du secteur. Je me décide à parler du sujet suite à la publication d’un article dans Cyberpresse. Je tenterai d’ajouter mon point de vue plus “interne” à l’article d’Anabelle Nicoud. La finalisation de cet article m’a pris beaucoup de temps, mais cela m’a permis d’avoir la fin de l’histoire :-)
Historique
En 2001, Meteor a été créé par deux actionnaires, Discovery Channel et Evergreen Productions pour la réalisation d’une série de documentaires sur les dinosaures. Durant quelques années, Meteor travaillait principalement pour des documentaires produits par Evergreen et distribués par Discovery. Je trouve cette consanguinité très malsaine pour la santé financière de Meteor… Dans quelle mesure, les deux associés étaient-ils intéressés à la réalisation de bénéfices de Meteor ? N’étaient-ils pas plus intéressants pour ces deux entreprises de faire réaliser par Meteor leurs projets à bas prix ?
Après les 2 ans d’engagement, Discovery a donné de moins en moins de travail à Meteor. Cette dernière a dû se reconvertir dans le cinéma. Le premier projet, Scooby-doo 2, a permis la réalisation d’une transformation technologique de l’entreprise avec l’utilisation de Renderman et Linux. Les films se sont enchainés avec son apogée sur Fantastic Four. À ce moment, il semblait qu’il y avait un peu la magie d’Hollywood à Meteor.
Il y a eu un petit creux avec des films moins intéressants : Slither et Final Destination 3. Avec l’arrivée du film 300, la situation semblait être en passe de s’arranger. Malheureusement, elle s’est détériorée pour des raisons internes et externes. Des pigistes ont été placés à des postes importants sur ce projet, et, bien que payés par l’entreprise, ils semblaient travailler pour le client et non pour nous. De son côté, le client était très particulier et ultraexigeant… Je n’ai rien contre l’exigence, loin de là, mais il faut savoir mettre son énergie aux endroits où cela se voit! La personne responsable de l’approbation des plans du film, se ventait d’avoir fait couler de nombreuses sociétés d’effets tellement son niveau d’exigence était élevé!!! J’ai beaucoup d’anecdotes que je ne peux malheureusement pas citer ici. Enfin si, une chose, pour une séquence du film, les “méchants” sont précipités dans un puits, les artistes de Meteor ont travaillé des mois sur cette localisation (qui se résume à simple cylindre avec une belle texture) suite aux caprices du client! Les finances de Meteor ont dû être ébranlées… Il y a eu un retard du payement des salaires, mais les actionnaires ont remis de l’argent. Il n’en reste pas moins que l’entreprise a assurément perdu de l’argent sur ce projet.
Pour “se refaire”, Meteor a réussi à signer un nouveau gros projet, Journey-3D. Ce projet était notre premier film en stéréo. Il a nécessité l’adaptation du pipeline, de la formation et d’investissements en matériels pour être produit. J’ai participé à l’évaluation de ce projet… Et comme chaque fois, il y avait une énorme pression pour sous-évaluer le travail en vue d’avoir le projet… J’ai travaillé durant la pré-production de ce film et j’ai démissionné fin 2007 pour aller travailler à Dreamworks en Californie. J’ai suivi tout de même l’actualité de cette entreprise, car nombreux de mes amis y travaillaient encore.
10 mois après mon départ, Meteor, acculé par les dettes, a poussé ses employés à travailler 6 à 7 jours par semaine en leur promettant de les payer à la livraison de Journey-3D. Le projet livré, au lieu d’être payé, les employés ont été mis à pied temporairement puis définitivement avec la décision du dépôt de bilan prise par les deux actionnaires… Les employés se sont retrouvés sans leur salaire, leurs heures supplémentaires ni leurs jours de vacances. Les sommes dues étaient en moyenne de 10.000$ CAN par employé… Une très grosse somme au Québec.
Pourquoi ?
Avant Meteor Studios, de nombreuses sociétés d’effets spéciaux ont connu la même histoire, par exemple Ice Storm et Tube Studio… Après Meteor, DAMN FX a aussi connu la même fin avec malheureusement beaucoup d’anciens employés de Meteor… Certains pourraient penser avec raison que la belle terre montréalaise est maudite pour les entreprises d’effets.
Je ne pense pas qu’un vaudou californien en soit responsable (quoique certains croient à la théorie du complot californien :-). À mon avis, les raisons de ces faillites sont multiples et récurrentes dans l’ensemble de ces entreprises. Pour Meteor, à mon point de vue, elles se trouvent à plusieurs niveaux :
* La hausse du dollar canadien par rapport au dollar américain a évidemment dû énormément influencer le chiffre d’affaires de l’entreprise. En effet, les clients, tous Américains, payaient en $US mais Meteor payait ses employés et ses dépenses en $CA. En quelques années, c’est 20% de recettes qui ont disparu. Mais dans quelle mesure Meteor aurait-elle pu ajuster ses prix pour tenir compte de ces changements ? Je pense qu’il restait encore une grosse marge face à la concurrence californienne.
* À mon avis, de nombreux projets ont été sous-évalués. Au sein même de Meteor, nous sentions régulièrement la confrontation entre la partie commerciale et la partie production. Les superviseurs de département participaient aux évaluations des projets. La production voulait compter en heures, nous voulions compter en jours.. Pensez-vous réalistement qu’il est possible qu’un artiste puisse réaliser une partie d’un plan en moins d’une journée (incluant les différentes approbations internes et externes)? Résultat, je suis certain que de nombreux devis ont été “réduits” pour l’obtention des contrats… Il est certes important d’avoir des contrats, mais il est aussi important de pouvoir les finir dans les limites des budgets impartis.
* Autre chose qui a fait beaucoup de mal à l’entreprise et au moral des personnes motivées est la mise en place de personnes incompétentes ou (et) malsaines à des postes clefs dans l’entreprise ou sur des projets importants. Les raisons de ces choix étaient de satisfaire les désirs du client ou des raisons purement politiques de réseautage… Certains m’ont parlé d’un salaire de 400.000 dollars par an, ce qui pour le Québec est complètement indécent. Le département de ressources humaines a été trop souvent occupé par des personnes inadaptées à ce genre de responsabilités. J’ai eu vent de l’existence d’une “liste noire” de personnes à remercier. Certaines personnes se sont acharnées à effectuer ce nettoyage… De bons éléments ont été remerciés sans raison logique, d’autres ont perdu de leur motivation. Une certaine personne était même connue sous le pseudonyme de “little dragon” jusqu’en Californie… Ces décisions se sont révélées catastrophiques sur le moyen et le long terme.
* Un autre problème plus de fond demeure que Meteor n’a jamais vraiment possédé une spécialité à part l’animation de dinosaures. J’ai essayé de pousser pour vendre davantage le département des effets. Le marché était, et demeure, dans le film live-action, très orienté effets, le reste étant le prolongement de décors et de l’animation de caractères non humains. J’ai commencé à réaliser une bande démo d’effets.. Je me suis découragé vu le peu d’intérêt que suscitait mon initiative au sien du management de l’entreprise.
* Un point important soulevé par un de mes amis est que Meteor était la compagnie résultante d’investisseurs et non la propriété et la fierté d’une ou de plusieurs personnes. Les autres entreprises de postproduction québécoises sont gérées par leurs propriétaires, il en résulte une dynamique tout autre, car ils sont plus impliqués dans la vie de leur entreprise. Ces investisseurs, trop lointains, ont placé plusieurs administrateurs qui parfois ne connaissaient pas le milieu de la postproduction. Les décisions et les responsabilisés s’en sont trouvés édulcorées.
Happy end?
Suite au dépôt de bilan de Meteor, une procédure a été engagée auprès de la Commission des Normes du Travail pour que les employés et les pigistes retrouvent leurs salaires, leurs heures supplémentaires et leurs vacances impayés. Malheureusement, beaucoup trop de parties étaient impliquées : le syndic de faillite, l’assureur, les normes du travail et les deux associés (Evegreen Productions et Discovery Channel). Le processus s’en est trouvé très alourdi.
Il s’en est suivi une très longue négociation entre les parties pour une entente à l’amiable… Finalement, c’est deux ans après le dépôt de bilan, juste avant Noël 2009 qu’un accord a été trouvé sur un payement de 70% des sommes dues. Les employés et pigistes ont reçu un chèque qui enfin n’était pas en bois !
Toute cette affaire n’aurait été tant médiatisée, dans la presse spécialisée et généraliste, sans le travail de Dave Rand et Eric Labranche. Ce dernier a creer un forum via lequel les employés et pigistes restaient en contracte. Il y a eu des votes pour accepter ou refuser les offres de l’assureur. C’est grâce à cette union que l’offre de l’assureur a peut monter de 40% des sommes dues à 70%. Je suis content que cette faillite soit au moins fini pas si mal. À ma connaissance, c’est la premiere fois au Quebec ! Comme quoi se battre permet d’avoir “parfois” satisfaction ! Cela pourrai donner des idées de syndicat à certains :-)
Pour conclure…
Je tiens a remercier les personnes qui ont effectué une relecture et ont complété quelques passages de cet article. Ces dernières ont préféré rester anonymes.
Si vous avez été acteur de cet événement ou cela vous rappelle une expérience personnelle, je vous invite à participer via les commentaires de ce billet ou en privé via la page de contact. Je vous prierais de rester “cordial” et de ne pas faire d’attaque personnelle.
Merci.
11 Comments
Leave a Reply
C’est pas mon genre de failloter mais merci bcps pour cet article, très bien rédigé, qui rentre dans certains détails “personnels” tout en restant relativement objectif.
Ça me rappel certaines boites françaises (qui étaient “petite” avant, puis se font racheter par des grands groupes et se retrouver avec, à leurs têtes, des personnes qui ne connaissent pas forcément le métier).
Je n’en citerai pas ^^.
A bientôt!
oula .. moi qui voulait partir au canada … lol
Merci pour cet article vraiment très intéressant. Ca fait vraiment froid dans le dos de voir la descente aux enfers d’un si grand studio.
@Kinan : Non, il n’y a pas que des entreprises de la sorte au Canada !! Je n’oubliai jamais que sans Meteor Studio, je ne serai jamais rentre a Dreamworks… Comme d’autres ex-meteor ont peu entre a Weta, Animal logic, ILM ou Framestore…
@Dorian et Titon : Merci de compliment ! :-)
Bonjour Lucas, article intéressant et sans surprise pour qui connait le milieu. Tu as bien résumé les points qui rendent les societes de 3d fragile (quoi que ce n’est pas forcement spécifique à la 3d). Les sociétés se montent souvant sur un projet réussi et partent en vrille quelques années plus tard pour mauvaise gestion/incompétence/trous entre les projets et devis absurde. On travail dans des domaines très complexes ou une bone gestion n’est de base pas facile et l’association avec de gradns groupes pour assurer les financements rend le tout très instable voir explosif.
Tout n’est pas sombre dans le monde la 3d, mais il est bon que les mauvaises pratiques se sachent.
@Blue : Effectivement, on pourrai remplace la 3d par d’autres secteurs et Montréal par d’autres villes (a par quelques spécificités régionales).. Malheureusement.
J’ai l’impression que c’est de plus en plus le cas (je ne parle pas que de la 3d).
Bonjour Lucas,
Je suis votre blog depuis plusieurs années, lorsque j’ai lu votre billet sur Meteor studios je me suis senti en lien avec ce genre de problème.
Je suis actuellement encore étudiant en France et j’ai effectué un stage de 2 mois en mai 2010 et juin 2010 chez Süperfad London. Il y a eu une convention de stage signée selon laquelle je devais être dédommagé. Lors de mes conversations par mails avec la productrice en chef du studio un montant par jour de travail à été fixé noir sur blanc .
Lors de la fin de mon stage j’ai laissé mes coordonnées bancaires à Süperfad London. Mi-juillet ne voyant toujours pas la somme virée sur mon compte j’ai repris contact avec une autre productrice (appellons-la Claire ) qui m’a alors expliqué que l’antenne de Süperfad sur Londres avait fermée et que du coup je devais voir avec un comptable de Los angeles ( Süperfad LA est la maison mère du studio qui existe encore aujourd’hui) . Ce comptable m’a demandé alors des justificatifs de mon travail à Londres, je lui ai alors envoyé une copie de ma convention de stage ainsi qu’une copie du mail provenant de la productrice en chef indiquant le montant journalier qui me revenait.
Puis début aout le comptable est parti vacances . Lorsque celui ci revint il m’envoya un mail m’expliquant que mon problème serai réglé d’ici la fin de la semaine ( 10 aout ) . Passé cette date plus de réponses, j’avais beau envoyer des mails ils restaient sans réponses. J’ai alors appelé à LA ( après avoir trouvé dans quelle entreprise travaillait ce comptable via linked-in heureusement) mais impossible de l’avoir au téléphone ( les secrétaires filtraient tous mes appels ).
J’ai alors recontacté la productrice en chef dont la seule adresse que j’avais été du type productrice@superfad.co.uk et qui me revoyait un mail automatique sans autre contact. J’ai alors recontacté Claire qui m’a alors conseillé de préparer une facture avec la somme qui m’était due … puis toujours aucune réponse ( 30 aout ).
J’ai alors commencé à appeler 2 à 3 fois par jour en envoyant 3 mails par jour ( mi septembre ) et le 3ieme jour j’ai reçu un mail ou le comptable me demandait mes coordonnées bancaire pour effectuer le virement 2 semaine plus tard je recevais un mail m’expliquant que le virement avais été fait (le 1er octobre), j’attends toujours cet argent…
Ce genre de problèmes ne sont pas grand chose comparé aux cas de Meteors Studio mais je voulais vous en faire part.
Merci de m’avoir lu.
Et encore, toi tu a la chance d’avoir des choses écrites noir sur blanc…
@Greensize : Merci pour ta participation a l’édifice des employés/stagiaires/freelances impayés. Comme Meteor, j’espère que ton aventure se terminera bien.
Personnellement, j’ai du faire une croix sur 80 heures supplémentaires non payer que j’ai fait a mon premier travail a Montréal chez DAMN FX… Il avais dit qu’il payait les heures supplémentaires…. Il s’est avéré que cela n’était que le weekend… Quel idée de travailler 50 heures en semaine aussi !!! J’ai promis de ne plus me faire avoir…
Tout ceci est malheureusement courant dans toutes les sociétés étant gérées par des gens intéressés uniquement par le profit et la marge dégagée…
Ce qui est arrivé à Meteor a été appliquée à de nombreux domaines que je connais, dès que les gros arrivent, ce n’est pas forcément bon signe…même s’il ne faut pas généraliser.
Intéressant en tout cas de voir qu’un milieu comme la 3D sûrement empli de passionnés comme toi n’est pas à l’abri non plus…A+
Emmanuel